INCESTE ET CRIME CONTRE L’HUMANITE
Carole Perelmutter, avocate, demande
l’imprescriptibilité de « l’inceste, qui présente de fortes similitudes
avec le crime contre l’humanité » (Libération, 18 décembre 1997).
L’inceste présente de fortes similitudes avec le
crime contre l’humanité, mais il n’en est pas un. L’imprescriptibilité a pour
but de protéger l’Humanité, menacée de négation d’elle même par des Etats qui
se sont donnés la destruction, la Shoah, pour Loi. L’imprescriptibilité seule
permet de dire « plus jamais ça » à tous les
« collaborateurs » de l’abomination, tant qu’ils sont présents sur la
terre. L’imprescriptibilité, qui correspond à un délai de prescription étendu à
la durée de l’existence de l’humanité, n’a pas de sens en matière de l’inceste,
déjà condamné par toutes les lois humaines. Ce qui en aurait par contre, c’est
un délai de prescription étendu à la vie entière de la victime.
Pourquoi l’inceste n’est il pas un crime contre l’humanité ?
Parce que tout crime contre une personne est un acte
inhumain, mais n’est pas un crime contre l’humanité. Inhumain, Dutroux est
arrêté, dénoncé par des centaines de milliers de manifestants. Criminels contre
l’humanité, les « hommes ordinaires » du 101eme bataillon[i],
font carrière dans l’assassinat des juifs de Pologne.
Selon André Frossart, « Il y a crime contre
l’humanité lorsque l’humanité de la victime est niée, en clair, et sans
appel ».« Il y a crime contre l’humanité lorsque l’on tue
quelqu’un sous prétexte qu’il est né. Le 2eme élément de ce crime sans pareil,
c’est la tentative d’avilissement qui précède la mise à mort » [ii].
On est tentée de s’écrier que presque tous les
crimes contre les femmes sont justifiés par les criminels, par la négation de
l’humanité des femmes, tellement différentes
! Que l’inceste, le viol, sont commis pour le plaisir d’avilir la femme, la
fillette...
Mais l’inceste n’est nulle part une politique... La
victime de l’ »incestueur » ne trouve d’expérience similaire à la
sienne que dans les récits des déportés, des torturés, la famille incestueuse
peut être un camp de la mort pour l’enfant battue, avec pour miradors la
terreur, la folie qui empêchent de fuir...Mais une famille n’est pas à elle
seule un camp de la mort ! Il n’y a pas de trains et de chiens pour aller chercher
les fuyardes partout où elles se terrent. L’inceste n’est pas la Loi , le père
sera jugé coupable, et non décoré.
Pourtant la loi est si hypocrite : elle rend les
femmes si dépendantes économiquement, si vulnérables, viols et incestes servent
si bien à rendre les femmes fragiles, faciles à exploiter, les juges sont si
influencés par les idéologies qui accablent enfants et femmes de présomptions
de culpabilité.
Les juristes préfèreront croire les bien pensants
catholiques et leur théorie de l’enfant vicieux -surtout vicieuse-, plutôt que
les « bas bleus » féministes qui au XIXeme siècle déjà, dénoncent les
bordels de petites filles, les viols des petites bonnes etc...[iii],
puis ils croient les arrogants psychanalistes et leurs théories du complexe
d’Oedipe et de l’enfant « pervers polymorphe » désirant son père,
plutôt que les féministes qui au XXeme siècle dénoncent la misogynie grossière
et la nullité de la secte freudienne et de ses avatars...
Le crime contre l’humanité n’est jamais loin,
parfois il éclate : viols « armes de guerre » en ex-Yougoslavie ou au
Rwanda, grossesses forcées des femmes bosniaques pour les faire
« accoucher d’un tcheknik », privation de soins médicaux et de moyens
de subsistance pour les femmes afghanes (les femmes seules qui ne peuvent ni
sortir, ni travailler !) sous le règne des talibans...
Cependant il ne doit pas y avoir de confusion : à
chaque danger, sa parade. L’hyporisie,
la double échelle doivent être dénoncées au nom des principes
législatifs existants, au nom du droit des
femmes au même droit effectif que les
hommes. L’inhumain prôné délibérement doit seul emporter l’imprescriptibilité,
afin qu’il ne soit jamais banalisé.
D’un autre côté, laisser croire que
l’imprescriptibilité, l’intervention symbolique de la justice est essentielle
en matière d’inceste, c’est le dénaturer. La souffrance de l’inceste est
d’abord une souffrance physique, existencielle aussi, mais certainement pas
purement psychologique !
L’incestueur mutile sa victime de tout son corps,
comme s’il détachait les os et la cervelle d’un côté, de l’autre : le reste,
« viande pourrie » de souvenirs physiques inarrachables. La cervelle
se bat , bataille sans issue car contradictoire, à la fois contre la mémoire,
pourrie elle aussi, et contre l’oubli, porte de la folie, porte des
ressouvenirs inattendus, donc insupportables... La cervelle ne résiste pas
toujours à ce « parcours méduséen »[v],
parcours de Méduse, la très belle jeune fille, violée dans le temple d’Athéna,
qui pour la punir elle (le mythe
avoue que c’est la victime qui est blâmée!), la métamorphose en Méduse au
regard d’horreur pétrifié et pétrifiant, Méduse à la langue pendante, « le
boeuf sur la langue »[vi],
la fille muette, incapable désormais de parler pour dénoncer le crime et la punition inique...
L’incestueur condamne sa victime à une lutte, à un
déchirement sans fin, contre la mémoire, contre l’oubli, car comme disait une
petite fillle de 5 ans « on ne peut pas changer de mémoire »[vii].
Dire que les victimes ne souffrent que de culpabilité revient à dire qu’elles
ne souffriraient que de maux imaginaires, et de leur propre connerie ! Ce n’est
qu’une variante du discours psychanalytique qui dénie toute importance à la
réalité. La culpabilité n’est qu’une souffrance supplémentaire, quand l’abuseur
a réussi, il n’y réussi pas toujours, à rejetter sa propre culpabilité sur
l’enfant, mais l’origine de la souffrance de l’inceste est ailleurs, elle est
physique, elle est dans la mémoire du
corps. Elle est aussi dans l’horreur de la trahison du père, et parfois de
la mère. C’est pourquoi, plusieurs années après des procès qui ont aidé des
victimes, certaines sont encore dans la souffrance.
Pour être utile, la prescription de l’inceste doit
être définie en fonction de la possibilité pour la victime de demander justice
: c’est à dire en tenant compte de la destruction de la mémoire que l’inceste
produit souvent. Si l’abus de bien social, délit contre des biens, est rendu imprescriptible de fait parque la
prescription ne court qu’à compter de la découverte des faits, c’est bien la
moindre des choses, que l’inceste, crime contre des personnes, soit combattu
par la même arme : une prescription dont le point de départ est lié à la
découverte du crime. Comme la découverte de l’inceste correspond le plus
souvent uniquement à la réminiscence par la victime, (et non à la découverte de
documents, de témoignages etc... comme dans l’abus de biens sociaux) et que
celle ci est toujours possible tant que la victime est en vie, il faut que le
délai de prescription dure pendant toute la vie de la victime.
ELISSEIEVNA
[i] Christopher R.Browning
« Des hommes ordinaires » Les belles lettres 1994
[ii] André Frossart « Le crime contre l’humanité »
Robert Laffont 1987
[iii] Sheila Jeffreys « The Spinster and her enemies Féminism and
sexuality 1880-1930 » Pandora Press
1985, Londres
[iv] Rugdyard Kipling Le livre de
la Jungle ... »petit d’humain » serait plus juste.
[v] Eva Thomas Le sang des Mots
Mentha 192
[vi] Christiane Rochefort La
porte du fond Grasset 1988
[vii] Eva Thomas Le viol du
silence Aubier 1985
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