INDIVIDUALISATION DES
SALAIRES
& JURISPRUDENCE SUR LA REGLE « A TRAVAIL EGAL, SALAIRE
EGAL »
Une secrétaire avait saisi les prud’hommes en
demandant un rappel de salaire, au motif
qu’elle effectuait, avec un coefficient identique et une qualification
supérieure, le même travail que d’autres secrétaires, tout en étant moins
rémunérée. La Cour de Cassation lui a donné raison en déclarant que la règle de
l’égalité de rémunération entre les
hommes et les femmes n’est qu’une application de la règle plus générale
« à travail égal, salaire
égal » énoncée par les articles
L133-5 4° et L 136-2
8° du code du travail, et que par conséquent,
l’employeur est tenu d’assurer l’égalité de rémunération entre tous les
salariés, de l’un ou de l’autre sexe, pour autant que les salariés en cause
sont placés dans une situation identique.
(Sté Delzongle c/Mme Ponsolle 29/10/1996
n°4133 P.
L’arrêt semble révolutionnaire car jusqu’à présent
la jurisprudence reconnaissait à l’employeur la liberté différencier les
salaires, dans l’exercice de son pouvoir de direction et sauf
« discrimination injustifiée »,
les critères dits subjectifs car relatifs aux qualités et aptitudes personnelles des salariés pouvant même être
pris en considération sans violer le principe d’égalité. Le contentieux en
matière de discriminations salariales portait sur un autre article du Code du
Travail, l’art. L 140-2 , qui dispose que tout employeur doit assurer, «
pour un même travail ou pour un travail de valeur égale », l’égalité de
rémunération entre hommes et femmes. La Cour a t elle été sensible au courant
favorable à la bilatéralisation absolue des dispositions prises pour défendre
l’égalité, au refus des
« discriminations positives » ?
Mais en réalité, le changement porte moins sur le
fond du droit que sur sa preuve : il incombait au salarié de prouver le
caractère injustifié de la discrimination, il incombera désormais à l’employeur
d’expliciter son estimation de la valeur du travail. Les méthodes et critères
d’évaluation du travail, qu’ils portent sur des éléments objectifs - tenant au
poste -, ou subjectifs - concernant le ou la salarié.e- , devront
donc être clairement définis, vérifiables, en un mot,
objectifs, et leur application identique à tous les salarié.es devra
pouvoir être établie, matérialisée par des documents.
Il en serait fini de la double échelle : « Il a
un bureau encombré : c’est un bosseur et un fonceur. Elle a un bureau encombré : elle est
pagailleuse et sans cervelle. Il parle
toujours avec ses collègues : toujours soucieux de concertation. Elle parle
toujours avec ses collègues : encore en train de jacasser. Il part en voyage d’affaires : c’est
excellent pour sa carrière. Elle part en
voyage d’affaires : et qu’en dit son mari ?» [1]
Le pessimiste croira la preuve impossible :
« chaque personne est différente, il ne peut pas y avoir d’égalité entre
des êtres différents, que prouver ? ». L’optimiste lui répondra que
l’égalité n’est jamais que l’identité de deux êtres différends, envisagés sous
un aspect donné et défini, car entre
deux êtres strictement identiques, il n’y a pas d’égalité, il y a du
« même » : ils sont indistincts. La démonstration est applicable
aussi bien aux hommes et aux femmes qu’aux salariés....
La crainte de
la multiplication des contentieux ne tient pas non plus : faut il
supprimer toutes les lois interdisant les injustices pour désencombrer les
tribunaux, parce qu’ en effet, si les
plus forts ont le champs libre, ils n’auront pas besoin de la justice pour
obtenir ce qu’ils veulent ?
Il est
possible d’analyser l’arrêt Delzongle comme une nouvelle manifestation
de la tendance actuelle à confier au juge la prise de décisions qui relevaient
jusqu’à présent d’autres autorités ou
acteurs sociaux [2],
en l’occurence le ou la chef d’entreprise, ce qui peut présenter certains inconvénients.
Ainsi, dans quelques cas, obliger l’employeur à
révéler au juge ses critères d’appréciation peut le forcer à rendre publiques
des informations confidentielles sur la stratégie de l’entreprise. Mais comment
ne pas croire que le plus souvent les distinctions ressenties comme injustes
par les salariés tiennent au seul « bon plaisir » du chef
d’entreprise, promotion canapé comprise, ou à sa mauvaise appréciation des
qualités de chacun [3]?
Il est donc permis d’espérer que la nouvelle
jurisprudence jouera un rôle positif en étant l’occasion, (au prix il est vrai
d’un certain alourdissement administratif), de faire le point sur les
ressources humaines de l’entreprise, et éventuellement de désamorcer des
conflits latents.
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