illustration de ce qu'en pense "la société"
MA REPONSE A QUATRE JURISTES
4 juristes de droit public opposent aux 170 juristes
ayant contesté le projet Taubira (http://elisseievna.blogspot.fr/2013/03/170-juristes-contre-un-marche-des.html ) , les arguments suivants :
- - Le rôle des juristes doit se borner, « le
droit civil procédant d’arrangement politiques et de montages juridiques »,
à « mettre en œuvre ces montages, leur
donner consistance, cohérence, voir en monter les lacunes et les antinomies »
- - Ils ne sauraient, « le droit étant l’expression
d’une volonté politique et non la reproduction d’une incertaine réalité qui
serait supérieure ou antérieure à celle, sublunaire, qui est la nôtre », « s’opposer par principe au aux
bouleversements du droit positif, aux évolutions du droit du mariage et de la
parenté », ni poser « des affirmations morales qui essentialisent des
catégories juridiques dans le but d’empêcher ou de faire apparaître comme
impossibles les modifications du droit positif voulues par le législateur »,
pour « dire ce qui est bien ».
Ces arguments sont d’une part contradictoires, et reposent eux-mêmes d’une part, sur un parti
pris idéologique parfaitement contestable sur le fondement du droit, et sur «
ce qui est bien » concernant le droit et son élaboration, et d’autre part,
sur une pseudo-rhétorique philosophico-anthropologique se référant à la notion dévoyée et trompeuse
de « l’essentialisation ».
Ces arguments sont contradictoires
car le droit positif comprend des principes et textes s’opposant au projet Taubira : la convention sur
les droits de l’enfant prévoyant qu’il doit être élevé par ses deux parents, le
principe de respect de l’intégrité physique des personnes, dont des femmes, et
plus génralement, le principe de l’indisponibilité
de l’Etat des personnes, la définition
de la liberté par la déclaration de 1789 signifiant que la loi n’est pas la loi
du plus fort et dont découle un principe de protection du plus faibles contre
les abus des plus forts, dont les femmes et les enfants contre le pouvoir des
plus forts …
Le parti pris idéologique est celui de l’absolutisme du
droit positif, de la reconnaissance comme « droit » de la loi
formellement votée par « le
législateur », sans autre réflexion sur « ce qui est bien ».
Ce
parti pris positiviste absolu a été depuis longtemps contesté, et pas
seulement, comme le font entendre sans le dire clairement ces trois juristes,
par des tenants de conceptions « religieuses » d’un « ordre naturel
divin ».
On rappellera que cette conception n’est pas exactement celle de
notre droit depuis que la déclaration de 1789 fait référence aux « droits
naturels et sacrés » et pose comme définiton de la liberté la borne des
libertés d’autrui et comme borne à l’interdit par la loi la non nuisance à
autrui …
On rappellera surtout, la critique fondamentale de cette conception
formaliste du droit comme étant simplement le retour à « la loi du plus
fort », voir les critiques faites à Kelsen.
L’accusation d’essentialiser est reprise ici comme par
rapport à l’islam, pour interdire, par une escroquerie intellectuelle, par
terrorisme intellectuel, toute forme de critique.
L’essentialisation a été initialement définie comme le fait
d’affubler des personnes ou un groupe de personne d’une identité intrinsèque et
figée, déterminée, d’ une « essence » lui interdisant toute
liberté dans son « existence ».
Dire comme le nazisme « le juif est dominateur » est une
essentialisation, un vice étant attribué à un groupe et à toute personne en
faisant parti, génétiquement, intrinsèquement et à tout jamais : par essence. A cela, philosophiquement, on oppose, pour
résumer, que la seule essence de l’être humain serait la liberté liée à sa
conscience, ce qui l’oppose tant aux objets physiques ou intellectuels qu’aux
animaux.
Comme je l’ai déjà montré dans un précédent article (« Essentialisation,
islamophobie : même sophisme»), ce
concept n’est pas applicable à une théorie, à un droit, c’est-à-dire à des
énoncés ayant un sens : une théorie ou un droit a un sens, sens qui en est « l’essence », mais ils n’ont ni de conscience ni de volonté
propre. Pas plus que « le droit musulman », « le droit français » n’est un être vivant doué de conscience et dont la
seule « essence » serait la liberté.
Insinuer qu’il pourrait être attenté à leur liberté
intrinsèque est ridicule, c’est mélanger sens propre et sens figuré, ne pas
comprendre une figure de style (remplacement du mot désignant un sujet auteur d’une
action par le mot désignant son acte), confondre les sujets : lorsque l’on
dit que « le droit évolue », on ne dit pas qu’il évolue par sa propre
volonté, mais en réalité par la volonté des citoyens et en raison de leur
conception « de ce qui est bien ».
Essentialiser serait oser comprendre le sens, la
signification d’une théorie, d’un droit
ou d’un principe , oser donner une définition compréhensible clairement par
toutes et tous. Dire que le mot mariage
a un sens, historiquement, celui d’union d’un homme et d’une femme, n’est pas un attentat contre la liberté de la « catégorie
juridique » mariage.
Pas plus d’ailleurs que le fait de dire « par
convention je souhaite lui donner aujourd’hui tel autre sens » n’est un
attentat contre « lalangue française », mais simplement l’usage de la
liberté d’en user, pourvu que l’on ait la courtoisie d’avertir autrui de la
définition nouvelle que l’on souhaite en faire, afin de ne pas induire de
confusion ...
Cette accusation d’essentialisation est utilisée pour
interdire toute compréhension et explication de sens, du sens d’une doctrine, d’une
théorie ou d’un concept, pour faire triompher la confusion, pour faire accroire
que le sens clair serait inconcevable ou
inaccessible. Donc que la critique de cette théorie ou de ce concept seraient
inconcevable et impossible. Alors qu’elle ne l’est nullement, alors que
cette impossibilité est purement imaginaire.
Ce procédé relève de l’escroquerie
intellectuelle à fin d’interdire la critique.
Dire que le mot mariage a un sens
clair, historiquement, et correspond à une institution précise, qui serait
bouleversée si l’on change la définition de ce mot, est indispensable pour
comprendre le sens et les conséquences des réformes proposée, ce n’est pas « figer » des
catégories, mais les décrire et les analyser, phase indispensable à toute
évolution éventuelle rationnelle.
Les 4 juristes cités parlent de « volonté du
législateur » comme fondement du changement de loi, et ne vont pas jusqu’à opposer « le sens de
l’histoire » ou « la marche de la société », mais l’argument qu’ils
utilisent en parlant « d’essentialisation de catégories juridiques »
est en fait cohérente avec la thèse du « droit qui avance tout seul ».
Car présenter « les catégories juridiques » comme sans essence, sans
définition, évolutives par essence,
comme des êtres dont l’évolution ne saurait faire l’objet d’une critique au nom
de « convictions morales » et de « recherche de ce qui est bien »,
c’est dire qu’il faut uniquement « suivre » ce qui serait leur « vie »
propre.
La critique de « l’essentialisation » du droit,
aboutit à l’interdiction faite au législateur de décider autre chose que de « suivre
la marche de l’histoire et de la société », (ce contre quoi même Jean Carbonnier défenseur
de la sociologie juridique et de la coutume s’était opposé)… au risque de se
soumettre uniquement à la loi du plus
fort à un moment donné.
La grande contradiction de cette critique, est qu’elle
soumet les seuls êtres réellement libres, les humains, à l’obéissance à des « abstractions ».
Essentialiser serait s’opposer à des phénomènes
se produisant de manière autonome, "libres" (mais hors de toute conscience, de toute réflexion
et de toute recherche morale).
Mais refuser l'"essentialisation" c'est dire que « le droit » comme « lalangue »
selon Lacan, ou le « sens de l’histoire » pourraient imposer leur Loi
à l’Humain, aux personnes humaines …
Ceux qui utilisent la notion d’essentialisation pour
défendre des abstractions, tentent de
faire croire qu’ils luttent contre les tenants « religieux » de tel ou telle
conception de l’ « ordre naturel », de « la vérité » ,
de la « loi naturelle ».
Or ils opposent à ces conceptions « religieuses »
, la loi d’airain d’Abstractions plus tyranniques encore, car elles excluent
par principe toute réflexion sur « ce qui est bien », car elles
excluent par principe toute conscience.
Or la conscience permettant la réflexion est pourtant ce qui
fonde l’égalité en dignité et en droit, comme nous l’ont fait inscrire les
juristes chinois en 1948 …
Or c’est bien la conscience qui devrait nous alerter, quand
un texte fait si manifestement fi de droits élémentaires des enfants et des
femmes plus pauvres, en contradiction avec notre droit positif lui-même.
Elisseievna
Mariage pour tous : juristes, taisons-nous !
mercredi
20 mars 2013, par Eric Millard, Pierre Brunet, Stéphanie Hennette-Vauchez, Véronique
Champeil-Desplats
À
l’heure où les feux de l’Université pâlissent à vue d’œil, on pourrait se
féliciter d’apprendre que l’interpellation du Sénat par 170 universitaires –
« tous professeurs et maîtres de conférences » – parvient à retenir
l’attention de la presse grand public. Arguant de leur qualité de
« juristes », nos collègues se reconnaissent pour
« vocation » de « veiller au respect des libertés individuelles
et à la protection par le droit des personnes les plus vulnérables » et
d’alerter le Sénat sur « la grande violence faite aux enfants,
délibérément privés d’une mère ou d’un père ». Enfin, ils disent ne pas
pouvoir « se taire » et dénoncent à l’avance « l’inéluctable
marché de la procréation à venir, la marchandisation du ventre des femmes les
plus précaires et des enfants fabriqués pour satisfaire les désirs dont ils
sont l’objet » (sic).
Face
à ces juristes, il s’en trouve toutefois d’autres qui ne se sentent nullement
touchés par la même vocation et pour qui une question préalable s’impose :
en quoi l’alerte que sonnent nos collègues est-elle le résultat d’un savoir
proprement juridique et peut-elle, en conséquence, s’autoriser de titres
académiques, en général, et de la qualité de juriste universitaire, en
particulier ?
La
pétition des 170 collègues contre le mariage pour tous exprime les vues
personnelles desdits signataires, lesquels ne sauraient parler « au nom du
droit ».
Oui,
le projet de loi « implique un bouleversement profond du Droit, du mariage
et, surtout, de la parenté ». C’est son objet même et il ne saurait dès
lors être critiqué pour ce seul motif. Toute intervention législative en
matière civile nous éloigne du Code Napoléon, comme toute révision
constitutionnelle déjoue les intentions de nos pères fondateurs. Être
professeur de droit n’autorise pas pour autant à « parler au nom du
droit » et à s’opposer, par principe, aux bouleversements du droit
positif, et moins encore aux évolutions du droit du mariage ou de la parenté.
Jusqu’à
preuve du contraire, le droit demeure l’expression d’une volonté politique et non
la reproduction d’une incertaine réalité qui serait supérieure ou antérieure à
celle, sublunaire, qui est la nôtre. En dépit des apparences que nourrissent
les habitudes, il convient de rappeler que le droit civil procède toujours
d’arrangements politiques et de montages juridiques. Lorsqu’il s’agit de les
créer, le juriste ne peut prétendre à aucune compétence ou monopole
particulier. Au mieux le savoir juridique sera-t-il utile et pertinent
lorsqu’il s’agira de mettre en œuvre ces montages, de leur donner consistance,
cohérence voire d’en montrer les lacunes ou les antinomies. Sans même défendre
le projet de loi que l’assemblée nationale a voté – car, précisément, une telle
défense ressort des convictions politiques et morales de chacun –, il convient
donc de dénoncer la méthode fallacieuse utilisée par nos collègues qui consiste
à se fonder sur leur qualité de “juristes” pour dire ce qui est bien et ce
qu’il faut penser.
Or,
tout un chacun peut le vérifier, aucun des arguments de nos
« résistants » – qui, de la contestation d’une loi sur le mariage
aboutissent à la dénonciation du « trafic d’enfants » (sic) et à la
privation de parenté –, n’est finalement juridique. Il s’agit au contraire
d’affirmations morales qui essentialisent des catégories juridiques dans le but
d’empêcher ou de faire apparaître comme impossibles les modifications du droit
positif voulues par le législateur. On nous ressert, réchauffé, le plat des
« catégories anthropologiques fondamentales », que l’on arrose d’une
rhétorique pseudo-psychanalytique en vue de nous le rendre plus appétissant
(l’enfant doit « se construire par référence à un père et une
mère »). Mieux encore, on l’agrémente d’une dénonciation des méfaits de la
logique libérale, qui n’est, comme par hasard, jamais aussi néfaste que
lorsqu’elle touche les mœurs mais reste bien souvent la seule possible
lorsqu’il s’agit de l’économie, du travail et de l’entreprise.
Il y
a quelques mois déjà, certains psychanalystes, répondant à leurs pairs qui
croyaient voir dans l’homoparentalité l’arbre cachant une forêt de dangers pour
l’équilibre de l’enfant, les invitaient à se taire (Sylvie Faure-Pragier,
« Homoparentalité : ‘psys, taisons-nous !’ », Le monde, 25 décembre 2012). On
ne peut que s’en inspirer aujourd’hui. Sur l’« admissibilité
juridique » du mariage pour tous et l’homoparentalité, juristes, encore un
effort : taisons-nous. Laissons le législateur faire son travail et ne
donnons pas à l’avenir la couleur de nos propres angoisses. Aucune loi n’est
jamais définitive ni définitivement appliquée telle qu’elle a été votée :
en ce qui concerne celle sur le point de l’être, il sera toujours temps de la
modifier si l’expérience en démontre les lacunes ou les défauts. Mais s’il
s’agit de refuser, par principe, l’adoption d’une réforme dont nul ne se
dissimule l’importance, il n’est pas besoin de faire profession de
juriste : celle de moraliste suffit amplement. La stratégie des « 170
juristes » ne doit tromper personne et nos sénateurs n’ont rien à
craindre : ils pourront voter le texte que leur transmet l’Assemblée sans
risquer les foudres de Thémis.
Pierre Brunet
Pierre Brunet est professeur de droit public à l’Université Paris Ouest Nanterre et directeur du Centre de Théorie et Analyse du Droit (UMR CNRS 7074).
Eric Millard est professeur de droit public à l’Université Paris Ouest Nanterre, membre du du Centre de Théorie et Analyse du Droit (UMR CNRS 7074) et Co-directeur de l’Ecole doctorale de sciences juridiques et politiques.
Véronique Champeil-Desplats
Véronique Champeil-Desplats est professeur de droit public à l’Université Paris Ouest Nanterre et directrice du CREDOF.
Stéphanie Hennette-Vauchez
Rédactrice en chef de Raison publique, en charge de la rubrique "droit et justice", Stéphanie Hennette-Vauchez est Professeur de droit public à l’Université de Paris XII-Créteil.
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